Bobo Stenson presse




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JAZZ IN MARCIAC

Le festival a accueilli pour la première fois le trio du pianiste suédois.


Bobo Stenson, bourru de talent.

Eclectisme. Ni bourgeois ni singulier, Bobo Stenson est un pur musicien. Le dernier d'une longue lignée. A Västerås (quelques kilomètres à l'ouest de Stockholm), chez les Stenson ("la famille Adance", comme les voisins la surnomment), on a toujours su faire de la musique avant même de savoir marcher. Passant spontanément de son clavier classique à la batterie plus fantaisiste d'un aîné porté sur le be-bop (et vice versa), le jeune Bobo a grandi en cultivant ce sens de l'éclectisme musical qui allait lui permettre de devenir I'un des accompagnateurs privilégiés des principaux jazzmen américains de passage en son pays (Stan Getz, Dexter Gordon, Sonny Rollins, George Russell, Don Cherry...), alors qu'il aurait pu se consacrer à l'interprétation anonyme des symphonies.
Longtemps discret compagnon de route de quelques souffleurs notoires (le Norvégien planant Jan Garbarek, le Tennessian psychédélique Charles Lloyd, le Polonais électronique Tomasz Stanko), c'est en trio que Bobo Stenson paraît le mieux à même d'exprimer cette veine mélodique qui l'habite et qui lui a valu d'attirer l'attention de Manfred Eicher, directeur du label munichois ECM, pour lequel il a gravé cinq albums, dont une compilation parue dans la collection "Rarum" sous I'intitulé Selected Recordings.

Dialogue. C'est donc un musicien assez réservé, peu enclin à l'exhibition et à la facilité, qui découvrait Marciac au moment précis où Marciac le découvrait. Le dialogue n'était pas évident entre un pianiste amoureux du beau jeu et un public parfois un peu trop friand d'effets de manche, exploits techniques et autres gimmicks. Or le trio de Bobo Stenson n'est pas du genre spectaculaire. S'appuyant sur une rythmique 100% viking, constituée du contrebassiste Anders Jormin, sur le faciès patibulaire et torturé duquel on lit clairement le cheminement de ses doigts sur le manche, et du batteur Jon Fält, câlé bien bas sur ses appuis, Bobo Stenson s'est pourtant gagné d'entrée Ies faveurs d'un auditoire subjugué par la richesse de la musique proposée.

Tradition nordique. Une musique splendide, habitée, piochant aussi bien dans le répertoire de Charles Ives (Serenity) que dans celui de Vladimir Vissotski (Vers le top), évoquant la mémoire de l'ancien batteur prodige de Miles Davis, Tony Williams (There Comes a Time), dépoussiérant quelques mélodies de la tradition nordique et les adaptant à la contemporanéité. Comme Bobo Stenson est un homme de goût, il conclura son set par une composition d'Ornette Coleman, pas parmi les plus connues : Race Face. Le fait mérite d'être souligné. Il ne sont pas si nombreux en effet (surtout en matière de pianistes), les musiciens qui reprennent du Ornette, exception faite d'un thème unique : Lonely Woman.

Bobo Stenson, lui, ne s'est pas dégonflé, qui s'est frotté avec brio au fumeux concept "harmolodique" du Texan, porté par un public décidément de plus en plus pointu. A quelques exceptions près, bien entendu. "Ce n'est pas du jazz, ça ne swingue pas", a laissé échapper un grincheux. Ca ne roule pas des yeux non plus et ça fonctionne à l'aquavit plutôt qu'au gin de contrebande. Ca propose surtout une alternative à ce terme "swing", si galvaudé qu'on pourrait l'appeler, par exemple, "liberté".

Serge Loupien (envoyé spécial à Marciac).
Mardi 10 août 2004