Sketches of Spain presse





Jazz Mag

Pour lire le dossier consacré à Sketches of Spain et à Dave Liebman dans Jazz Magazine de décembre 2008, cliquez ici.


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30e édition de Jazz in Marciac (JIM), Gers

DAVE LIEBMAN ET JEAN-CHARLES RICHARD ; PORTAL et JACKY TERRASSON À MARCIAC : DIALOGUE DES MUSIQUES

Marciac (Gers), 9 août (de notre envoyé spécial).

On n’a pas tous les jours trente ans. Pour aller vite, qui n’est jamais venu à Marciac ? Miles Davis. Lors de la onzième de ses dix-sept nuits, Marciac a permis au saxophoniste Dave Liebman avec Jean-Charles Richard à la direction d’orchestre, de recréer les pièces historiques de Sketches of Spain (Gil Evans et Miles Davis, 1960). Dire que cette recréation somptueuse préludait à un duo intimiste (Michel Portal, anches, et le pianiste Jacky Terrasson) qui fait l’unanimité ; qu’ils précèdent John Zorn, avant-gardiste déjà fêté sous le chapiteau (le 10 août) et Sonny Rollins pour son unique concert en France (le 11), est tout dire.

Le petit village du Gers continue d’accueillir tout ce qui compte sur la planète du jazz. Au fil du temps, les artistes les moins prévisibles dans un cadre initialement prudent, se sont ici taillé des succès notables. Marciac, ce sont des chiffres et des lettres de noblesse. D’un budget de trois millions d’euros, 50% vont à l’artistique. Les recettes propres couvrent 75% de l’ensemble, le reste étant assuré par institutionnels et partenaires. Sept cent soixante dix-sept bénévoles (ils ont tous accès aux concerts) ; dix-sept jours qui ressemblent à autant de festins gersois - les gros appétits comprendront ; expositions et films ; les arènes dévolues aux musiques festives ; la 13e université d’Eté de l’innovation rurale ; les Après-midi de la Ligue de l’enseignement (débats) ; sans oublier les concerts de la place du village, gratuits, où l’on peut vivre aisément de grands moments de musique. Le fondateur de Jazz In Marciac (JIM), Jean-Louis Guilhaumon, est principal du collège de la commune qui comporte un important secteur musical.

La recréation de Sketches of Spain est un pari digne de cette exception. Deux saxophonistes s’en sont chargé : l’un, fascinant de maîtrise et de lyrisme déchiré, Dave Liebman. Il a joué avec Miles, mais ce n’est pas là sa seule légitimité. L’autre, Jean-Charles Richard (formidable instrumentiste), à la tête du jeune orchestre du Conservatoire national de région (Toulouse, vingt-quatre musiciens en scène). Le Concierto de Aranjuez de Rodrigo dont Miles aura donné la version la plus convaincante, Pan Piper, plus une Saeta décalée, criée, toujours dans l’esprit et hors de lui, viennent de trouver de nouvelles voies. La démarche est unique, les cuivres éblouissants, la mise en place soufflante, et le soliste Liebman au sommet de son art.

Il est d’ailleurs un des rares que ses pairs vont écouter en club. Portal notamment, au New Morning, il y a quelques mois. Amateur de duos, Portal (anches) s’est trouvé un nouveau partenaire, Jacky Terrasson : la main gauche la plus leste du piano actuel, le toucher le plus contrasté, et cet art de plonger dans le ventre du Steinway pour en tirer percussions et graves terribles. Ensemble, ils explorent ce que la musique que leurs âges trimballent, ou celle qu’ils ne savent pas encore, peut leur dire. De Caravan (le tube de JuanTizol) aux accents bluesy, en passant par des complaintes ou des fugues en avant, tout y passe - dans l’espace réciproque. Sans compter que par la magie du lieu, une oeuvre symphonique et un duo d’intimité se donnent la juste réplique comme si de rien n’était.

Francis Marmande


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Culture
Dave Liebman, du souffle dans les idées

Jazz in Marciac. Le saxophoniste a convaincu en se réappropriant la suite «Sketches of Spain» de Miles Davis.
Par Serge LOUPIEN (envoyé spécial à Marciac).
QUOTIDIEN : samedi 11 août 2007


L’an dernier, le polysaxophoniste David Liebman, natif de Brooklyn et ancien élève de Lennie Tristano, passé par les formations protofusion de Miles Davis (disques : On the Corner et Get Up With It), découvrait le territoire gersois. Jeté en pâture aux adeptes de John Zorn (chargé d’assurer la seconde partie de soirée), Quest, le quartette qu’il codirige avec l’excellent pianiste poids lourd Richie Beirach, devait ainsi puiser dans toutes ses ressources new-yorkaises (version cérébrale du Footprints de Wayne Shorter, reprise insolite du Lonely Woman d’Ornette Coleman, avec Liebman à la flûte en bambou), afin de retarder au maximum l’apocalypse annoncée.
Formalité.  Emporté ensuite par le tsunami zornesque (chapiteau sens dessus dessous, dix-huit rappels, spectateurs trépignant sur les chaises, Wynton Marsalis prenant ses cliques et son chapeau claque en tirant la tronche), Liebman, en quelques chorus poignants, avait néanmoins eu le temps de séduire les amateurs de saxophone (ténor comme soprano), tel le président Guilhaumon, «zornien» modéré d’autant plus fier de sa programmation.

Dès lors, le retour, à plus ou moins long terme, de Dave Liebman à Marciac n’était plus que pure formalité. Même si nul ne s’attendait à le revoir débarquer aussi vite, esseulé qui plus est, afin de contribuer à la création de l’un des authentiques événements du trentième anniversaire du festival : une reprise de la partition de
Sketches of Spain, œuvre universellement connue de Miles Davis basée sur des arrangements de Gil Evans, paru en 1959, un an après Porgy and Bess. Rien à voir donc avec la Marciac Suite de 1997 revisitée deux jours plus tôt par Wynton et ses employés cravatés, qui, à côté, se révèle à peu près aussi indigeste qu’une tranche de baba gascon (dans lequel l’armagnac remplace avantageusement le rhum). Très attaché à la mémoire de son ancien leader («la musique de Miles, et Sketches of Spain en particulier, dépasse le simple niveau artistique et illustre la condition humaine», dit-il), Dave Liebman s’est précédemment livré au même exercice à deux reprises, à Londres puis à Manhattan, avec le concours d’orchestres symphoniques locaux.

Juste cause. A Marciac, il s’appuyait pareillement sur l’Orchestre du conservatoire national de la région de Toulouse, placé sous la direction de Jean-Charles Richard. Pourtant, dès les premières mesures de l’ Adagio du Concerto d’Aranjuez, l’auditeur se sent décontenancé, tant l’usage du soprano, à la place de la trompette du maître, a de quoi déstabiliser l’oreille trop formatée. Mais bientôt, Liebman, certain d’œuvrer au profit d’une cause juste, impose ses convictions et sa patte musicale, ré-insufflant à une suite qu’on aurait pu penser figée (sur Pan Piper et Solea notamment), un peu de sa propre personnalité. Sans trahir pour autant l’esprit original. Ce qui exige de sa part, on s’en doute, une immense humilité.

Qui n’est pas forcément la qualité majeure de son successeur (sur scène) Michel Portal, venu roder, à la campagne, le
mano a mano qu’il dispute avec le pianiste Jacky Terrasson. Lequel, curieusement, après un numéro solo de Schpountz sur le Caravan de Duke Ellington, se plie à tous les desiderata de son illustre compagnon.
Noises. Le résultat est saisissant, bien sûr, mais le «portalien» de base ne peut s’empêcher de regretter alors que le Bayonnais ne se fasse pas un peu plus bousculer. Car - on le sait - le Basque est réputé susceptible, et Portal n’est jamais meilleur que dans un contexte ouvertement conflictuel. Quand un batteur mastard de Minneapolis, un tromboniste contemporain allumé ou un scatteur gascon assermenté vient lui chercher des noises au micro. Or, quand il dialogue avec Terrasson, il donne l’impression de se reposer. Est-ce vraiment raisonnable à trois semaines du coup d’envoi de la Coupe du monde de rugby ?

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