Dave Liebman presse





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Pour lire le portrait de Dave Liebman par Franck Bergerot dans la revue "Accents" de l'Ensemble Intercontemporain, cliquez ici.


Jazz Mag

Pour lire le dossier consacré à Dave Liebman dans Jazz Magazine de décembre 2008, cliquez ici.



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Dave Liebman, sopranissime


On dit de lui qu’il est l’un des plus grands saxophonistes de sa génération. C’est quand on ne l’a pas écouté. Sinon, on ne le dit plus. On le sait. « D’Jazz à Nevers » l’a invité avec son quartet.

Mars 1974. Miles Davis se produit au Carnegie Hall de New York. Au risque de choquer ou de déboussoler les « puristes » – comme il le fera d’ailleurs durant toute sa carrière –, il propose une musique dure – pas moins de trois guitaristes l’accompagnent –, qui surfe sur le jazz, le rock, le funk, ajoutant de petites touches de trompette à des nappes de couleurs aux claviers. Il est peintre autant que musicien. Le son est énorme. Les spectateurs sont un peu déroutés… Cette soirée sera immortalisée par un double album, Dark Magus. C’est un des sommets du genre « fusion ».

Derrière Miles, aux saxophones ténor et soprano ainsi qu’à la flûte, en lieu et place de John Coltrane quelques années auparavant, un jeune saxophoniste (27 ans) qui connaît aussi bien la tradition que le free, venu au jazz sur les traces de Coltrane, justement. Il s’appelle David Liebman. Il fait ses débuts devant le grand public, qu'il mettra lui-même plus longtemps à atteindre - d'abord reconnu comme ce qu’on appelle souvent (et bien mal à propos) un « musicien pour musiciens », dont la renommée s'établit dans la sphère des musiciens avant de toucher une audience plus large.

Dave Liebman est né en 1946 à Brooklyn, New York. Il est l’incarnation du musicien new-yorkais tel qu’on l’aime (ou le déteste) : exigeant, plus porté vers l’expérimentation que vers le spectacle ou le spectaculaire, féru de rencontres improbables avec d’autres musiciens, d’autres musiques, d’autres traditions. Il débute par le piano (classique), puis s’oriente vers le saxophone. C’est lorsqu’il entend John Coltrane, donc, jouer dans les clubs près de chez lui qu’il « accroche » définitivement au jazz. On ne remerciera jamais assez les patrons de club (et Antoine-Joseph dit « Adolphe » Sax). Au tout début des années 1970, il multiplie les expériences dans les fameux lofts new-yorkais. L’époque est aux collectifs. Il est membre régulier du groupe d’Elvin Jones, le fidèle batteur du Trane, puis de Miles Davis, avec qui il enregistrera aussi On the Corner  (1972). Il est saxophoniste quand l’heure est aux guitares électriques. Décidément.

Après ? Détailler sa carrière serait aussi long que fastidieux. Il a joué avec tout ce que la musique compte de noms importants. En jazz, bien sûr, mais pas seulement. Il se tournera aussi facilement vers des musiciens classiques, par exemple (tels les deux autres membres de son trio depuis 1998 : le batteur-percussionniste Wolfgang Reisinger, qui a joué aussi bien avec Luciano Berio qu’avec le Vienna Art Orchestra, et le bassiste Jean-Paul Celea, venu du Philharmonique de Strasbourg et de l’Ensemble Intercontemporain de Boulez et Stockhausen en passant par le plus jazz-rock Celea/Couturier Group). Ou venus des musiques traditionnelles.

Ainsi la musique orientale, indienne en particulier, avec ses techniques de souffle qui y tiennent une place centrale (au propre comme au figuré). C’est peut-être l’étude et la pratique sur cette tradition qui lui permettra d’atteindre ce qui est unique dans le soprano de Liebman : le son, un lyrisme doux ou violent, une manière de prendre la note par en dessous avant de la remonter, utilisant son larynx comme le fait un chanteur. Mais là où d’autres utilisent cette technique pour seulement contrôler la justesse, lui s’en sert pour déposer ses notes, les sculpter, les faire ressortir ou, au contraire, les fondre et les marier au timbre des autres instruments. Aussi à l’aise sur les tempos rapides que lents, il a l’obsession de ne pas en faire trop. On critique souvent la propension des jazzmen à produire trop de notes : « Regardez comme je suis très, très fort. » On a souvent raison. Rien de tel chez Liebman. Rien de gratuit. L’épure est de rigueur (ou pas, mais alors avec des raisons, un objectif).

Mais les rencontres ne le résument toujours pas. Il est aussi curieux de rencontrer de nouveaux musiciens qu’il est fidèle avec les anciens. C’est ainsi qu'en 1972 il enregistre pour la première fois avec le pianiste Richard Beirach. C’est loin d’être la dernière. Richie Beirach est, lui aussi, l’un des plus doués de sa génération. Son toucher est unanimement reconnu, mais presque plus encore ses talents de compositeur et son génie harmonique – sa pièce Leaving, par exemple, est devenue un standard, et on ne saurait trop recommander les interprétations qu’en a données Chet Baker, de même que Elm. Leur collaboration régulière et irrégulière se poursuivra durant les années 1970 à 1990, en duo, l’un en sideman de l’autre, ou au sein des groupes Lookout Farm et surtout Quest, un sommet dans leur carrière respective. On pourrait en citer beaucoup d’autres, tel le guitariste John Abercrombie.

« En plus d’un sopraniste inégalé depuis Coltrane, David Liebman est peut-être bien, chez les souffleurs, l’improvisateur le plus divers, le plus fécond, le plus complet du moment, capable de spontanéisme sauvage mais rompu aux constructions abstraites. Il est aussi l’un des plus touchants en même temps que l’un des plus agressifs. Ses enregistrements invitent à des voyages à émotions fortes », écrit de lui le romancier et critique Alain Gerber (Diapason, juillet-août 1999). On ne saurait mieux dire. A Nevers, il sera accompagné de Bobo Stenson, pianiste délicat qui a longtemps collaboré avec Jan Garbarek, du contrebassiste Jean-Paul Celea, déjà cité, et de l’immense Daniel Humair à la batterie, qui est de ceux dont on dit qu’on ne les présente plus quand ils vous dépassent. Ne pas assister au concert d’un tel quartet ne serait pas seulement impensable. Ce serait une faute de goût.

Antoine-Joseph Martin - Octobre 2007

Discographie sélective
Parmi les plusieurs dizaines de disques enregistrés par Dave Liebman, sous son nom ou pas (en fait plus de 300, je crois), difficile de n’en retenir que quelques-uns. Essayons.
• 1974 : Miles Davis, Dark Magus, le double live ébouriffant du Carnegie Hall (CDS/Sony).
• 1980 : Dave Liebman, If They Only Knew, où le guitariste John Scofield est au tout meilleur de sa forme (Timeless/Impulse!).
• 1986 : Quest, Quest II, avec Richie Beirach (Storyville).
• 1987 : David Liebman, Homage to John Coltrane, des standards du maître où Liebman s’entoure de deux groupes, l’un acoustique, l’autre électrique (Owl/EMI).
• 1987 : David Liebman/Wayne Shorter, A Tribute to John Coltrane, en concert au Japon, avec cet autre grand sopraniste et ex-collaborateur de Miles Davis qu’est Wayne Shorter (disponible en DVD) (Epic/Columbia).
• 2001 : Jean-Paul Celea, Dave Liebman et Wolfgang Reisinger, Ghosts, avec des reprises de Monk, Ornette Coleman, ou du regretté Eddie Harris (Night Bird).
• 2007 : Dave Liebman, Back on the Corner, retour à Miles Davis avec Mike Stern à la guitare, lui aussi un ex de chez Miles (Tone Center/Mascot).