Jean-Paul Celea presse




Jean-Paul Celea Yes Ornette !
avec Émile Parisien et Wolfgang Reisinger

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Le Monde


Jazz : l'élégance, le son, le toucher les plus vérifiables du moment
16 juin 2011

Jean-Paul Celea (contrebasse), Wolfgang Reisinger (batterie), Emile Parisien (sax), jeudi 16 juin à 21 heures au Sunside. En d'autres termes : l'élégance, le son, le toucher les plus vérifiables du moment (Celea, né à Philippeville, Algérie, en 1951) ; la constance, la recherche, l'écoute d'un jeune prodige révélé par l'école de jazz de Marciac et qui aurait dû, en toute logique, pioncer sur ses lauriers (Parisien, né à Cahors en 1982) ; la délicatesse de la frappe, en bord de caisse, une conception plus proche de l'art des sons que des enclumeurs (Reisinger, né à Vienne, Autriche, en 1955).

Programme ? La réinvention des libertés. Une plongée dans les mondes possibles. Des chansons d'Ornette Coleman, ce Lonely Woman, par exemple, qu'ils font circuler comme un Geer Van Velde les formes et les valeurs. Presque subliminal. Avec des crises d'intensité. Ils jouent aussi des thèmes de Joachim Kühn ou de Dave Liebman, toujours dans l'esprit d'Ornette. Preuve ? Une répétition secrète au Plateau 4 du Conservatoire de Paris, mercredi 15 juin, 17h34.

"Les thèmes d'Ornette, note Celea – svelte, catogan, la voix jamais forcée – sont très peu structurés. Très ouverts, originaux et, malgré une forte personnalité d'écriture, aussi peu contraignants que possible. Nous tournons autour de fragments, de bribes, de manière à laisser venir la musique, le son." On parlait de lauriers ? Celea pourrait, avec les siens, tresser autant de couronnes qu'il y a de contrebasses sur la terre.

Professeur au Conservatoire national supérieur de Paris (section classique et contemporain), dédicataire d'une dizaine de compositions, ex-soliste de l'Ensemble Intercontemporain (Boulez, Berio), de Musique Vivante (Diego Masson), du John McLaughlin Quintet, du Vienna Art Orchestra, lié à tout ce que la planète compte d'improvisateurs qui n'ont pas froid aux oreilles, longue complicité avec Reisinger, Celea se fait une idée aussi exigeante que débridée de la musique.

"La perfection, c'est ce qu'il faut désapprendre tout en l'intégrant. La difficulté aujourd'hui pour les élèves du conservatoire, c'est que l'instrument réclame autant d'heures de travail incompressibles qu'au temps de leurs arrière-grands-pères, mais tout a changé autour. Et le jeu, la pratique, tu ne peux pas les zapper."

La musique de Celea/Parisien/Reisinger correspondrait à quoi ? L'envers du monde de l'utilité, du profit, de la rentabilité : un fil sans filet, un saut à l'élastique souvent sans élastique, le désir d'aller aussi loin que possible dans la composition spontanée : "Ce que les publics qui nous écoutent ressentent, c'est que nous, musiciens, sommes les premiers à vouloir nous surprendre."

Authenticité, rigueur, musicalité, amour éperdu du son, c'est peu dire du monde actuel qu'il n'est pas fait pour ces musiques et l'esprit d'Ornette. Mais il s'y fera. Et dans la joie, encore.

Francis Marmande

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Sigle Citizen Jazz
Yes Ornette !
Jean-Paul Celea

Out|Note/Harmonia Mundi

Peut-être une équivoque sur « Yes or not ? ». En tous cas, « Yes Ornette ! » Mais attention : pas tout de suite. « Il m’aura fallu du temps », dit à peu près Jean-Paul Celea dans l’entretien qui figure dans le clip de promotion du CD, « pour que cette musique, ces thèmes, soient ce que j’avais envie de jouer aujourd’hui. A l’époque, j’écoutais plus aisément Coltrane ». On est d’accord. Une musique qui résiste, c’est une musique dure, donc qui a des chances de durer. D’ailleurs Coltrane n’a pas non plus été évident pour tout le monde, au départ. Voilà bien le vrai sens des musiques de résistance : des musiques qui résistent au temps, qui résistent à tout, même et surtout à vous-même dans la mesure où vous n’avez pas envie de vous fatiguer. Le jazz est une musique qui résiste. Une musique du désir, du dur désir de durer.

Donc aujourd’hui, oui. Qui a dit qu’Ornette Coleman avait « assassiné la tendresse » ? On ne sait plus, ou on ne le dira pas. Il suffisait d’écouter : ce qui jaillit de ces thèmes (plutôt de sa première période, ou qui sont restés inouïs, pas joués, oubliés dans un carton) c’est de la danse pure, de la joie, de la jubilation, même dans la l’évocation de la solitude. La joie de ce qui jaillit de source, comme un printemps, comme un renouveau. Et pour s’en jouer à ce point de perfection, trois instrumentistes qui se sont trouvés au bon moment, dans un bon-heurt qui s’entend du début à la fin. Complicité de longue date, ou fraîcheur des rencontres récentes. Celea dit s’être surpris lui-même dans ce disque, avoir joué quelque chose à quoi il ne s’attendait pas. Pourtant on pouvait s’y attendre : quelle mise en place somptueuse, quel son ! (Merci Gérard de Haro  !). Reisinger, on le savait aussi, quel batteur, quel sens de la couleur mais aussi du tempo, et des espaces, et de la précision ! Quant au Parisien de la séance il confirme ce qu’on sait de lui, une incroyable justesse sur cet instrument impossible (le soprano), et la capacité à se mettre au service d’un projet sans rien y perdre de sa vérité.

On va les entendre bientôt. A Nevers, à Strasbourg, que sais-je encore. Dans ces festivals de l’AFIJMA (création au Mans il y a peu, on y était, quel concert !) qui sont si précieux dans le champ de la diffusion du jazz vif, d’abord parce qu’ils ne se situent pas en été (pas tous en tous cas), ensuite parce qu’ils ont en commun de continuer à résister eux aussi, à la morosité, aux subventions en baisse, aux sirènes d’alarme ou de séduction. Mais oui.

par Philippe Méziat // Publié le 30 septembre 2012

P.-S. : Sortie commerciale le 9 octobre 2012

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Découvrez l'entretien de Jean-Paul Celea avec Pierre Gros sur www.culturejazz.fr

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EUROPA JAZZ FESTIVAL 2012, LE FINAL (2)
Samedi 5 Mai 2012

La soirée s’annonçait contrastée à l’Abbaye de l’Epau. Car le trio Celea/Parisien/Reisinger autour de la musique d’Ornette Coleman se présentait comme un projet réfléchi, travaillé et muri, quand le duo entre Joachim Kühn et David Murray tenait de la (fausse ?) bonne idée, avec les risques que cela implique. Et tout fut bien ainsi (hélas ?), entre le déploiement d’une rare musicalité de quelques thèmes d’Ornette peu ou pas connus – que Jean-Paul Celea tenait de Kühn lui-même – et la difficile et assez indigeste rencontre entre un pianiste qui, de toutes façons, a tant roulé sa bosse depuis près de 50 ans qu’il sait absolument tout faire, et un saxophoniste qui a quand même tendance à nous refiler le même solo « en force » à chaque passage. Et je ne dis rien du duo entre Kühn saxophoniste-alto et Murray clarinettiste-basse…
 
Je retiens d’avoir découvert un batteur de jazz absolument exceptionnel (Wolfgang Reisinger), que je connaissais très mal et qui a été constamment juste dans sa façon de soutenir les propos de Celea et Parisien. Mais aussi d’avoir aimé cette musique qui fonctionne souvent par questions et réponses puisqu’il semble que ce soit de la plume du « premier » Ornette que proviennent ces thèmes. En tous cas, le bonheur de la jouer était là encore parfaitement évident pour tous. Emile Parisien est sans aucun doute l’un des maîtres du saxophone soprano aujourd’hui : ses prises de bec diverses et subtiles, la façon dont il use de toutes les possibilités du souffle pour être toujours juste sur cet instrument infernal, l’espèce de douceur de fond qu’il laisse entendre dans le son (ce qui n’empêche ni le cri, ni la violence) quand souvent le soprano m’évoque chez les autres une certaine acidité résiduelle, sont des qualités précieuses et rares. Quant à Jean-Paul Celea, c’est lui qui a eu l’idée de tout ça, et pour le coup c’était une vraie bonne idée. Du son, de la rondeur, parfaitement placé entre le soprano et la batterie, il a joué sa partie entre moments de « walking bass » assumés, unissons virtuoses avec le mélodiste et interventions plus improvisées dans les intervalles. Là aussi, on dit « encore ».

Philippe Méziat

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Banlieues Bleues : "Autour d’Ornette", avant McCoy
Vendredi 16 mars 2012 à 20h30, Saint-Ouen - Espace 1789

Trio Celea, Parisien, Reisinger : "Autour d’Ornette Coleman"
Jean-Paul Celea : contrebasse / Emile Parisien : saxophones / Wolfgang Reisinger : batterie

On en salivait à l’avance ! Nous allions écouter le trio Jean-Paul Celea (contrebasse), Émile Parisien (saxophone soprano), Wolfgang Reisinger (batterie). Ils se proposaient d’interpréter l’autour de la musique d’Ornette Coleman. En fait il n’était pas question, ici, de refaire ou d’imiter la musique du texan comme l’indiquait l’intitulé du concert, ça n’est pas dans la nature des musiciens présents, mais de reprendre à leur compte la liberté où celui-ci l’a laissée. Quelques thèmes rares d’Ornette quand même mais aussi de John Coltrane. Admirable Jean Paul Celea sculptant ses lignes, ses chorus avec la science qu’on lui connaît. Fantastique Wolfgang Reisinger, percussionniste-coloriste créatif de bout en bout, prenant sa place dans ce contrepoint à trois voix et Émile Parisien, ce jeune saxophoniste qui nous prouve que l’avenir d’un musicien en recherche est encore devant lui, parlant d’égal à égal avec ses ainés, les bousculant parfois.
On en redemande ! Ce groupe, c’est certain, nous réserve bien des surprises, celles d’une musique de solistes tissant à trois leur ouvrage, suggérant ensemble tempo et mélodie, construisant ces “histoires’’ avec maîtrise sans intellectualisme ou maniérisme...

Pierre Gros

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Trio Celea/Parisien/Reisinger "Autour d’Ornette Coleman".
Banlieues Bleues, Saint-Ouen, Espace 1789. 16 mars 2012

Salle comble pour le trio Celea/Parisien/Reisinger - pour le groupe qui suivait aussi, bien sûr : McCoy Tyner, avec Joe Lovano en invité - en cette première soirée de Banlieues Bleues à Saint-Ouen. Et l’on est heureux pour ce trio tout nouveau (qu’on a pu voir quelques semaines plus tôt à Radio France, puis au Sunset) qu’ils puissent proposer leur musique à un public si nombreux. Une musique basée sur une thématique ornettienne, mais qui tourne librement autour et ne s’enferme jamais dans l’adhésion au modèle - surtout pas celui des trios de l’altiste texan.

D’ailleurs liberté est sans doute le mot clé pour parler de ce trio où « ça circule » (pour reprendre une expression souvent bateau, mais qui, en l’occurrence, prend toute sa dimension). Liberté et musicalité de l’entrelacs des timbres qui est souvent de l’ordre de l’alchimie, tout en se faisant passer pour la chose la plus naturelle qui soit. Le son de soprano d’
Emile Parisien, le benjamin du groupe, par exemple, semble, chaque fois qu’on l’entend à nouveau, avoir gagné en richesse, en fruité, en fluidité au niveau de sa texture. La contrebasse de Jean-Paul Celea, sans rien abandonner de sa majesté et de son mordant, prend souvent à ses côtés des accents d’un moelleux inédit. Quant à Wolfgang Reisinger, son drumming est si mélodique, dynamique et varié à la fois qu’il apparaît autant comme une troisième voix cantabile que comme l’élément rythmique du trio.

Entre ces trois-là, l’interaction est intense et ludique, truffée de petits points de rencontre rythmiques ou mélodiques inattendus, d’envolées solistes où la prise de risques prend les allures du plaisir du jeu plus que de la performance virtuose. Bref, ils ont (ré)inventé le mythique moteur à trois temps, qui vous emporte loin dans son élan tout en régalant vos oreilles des sonorités mélodieuses qu’il produit par son mouvement-même.

Conscients de l’arrivée imminente du groupe de McCoy Tyner, Celea, Parisien et Reisinger terminèrent leur concert par « Untitled », un thème rarement joué de John Coltrane, puis donnèrent en rappel « Ghosts » d’Albert Ayler : deux versions sobres, denses et réjouissantes, après lesquelles ce qui suivit me laissa assez indifférent. C'est donc mon collègue Paul Jaillet qui vous parlera de cette seconde partie qu’il goûta plus que moi.

Thierry Quénum

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Pour lire le dernier interview de Jean-Paul Celea dans Jazz Magazine de novembre 2009, cliquez ici.


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Pascal Dusapin : Tu as une expérience de musicien double, voire triple. De formation classique, ton cursus t’a mené au centre de pratiques apparemment contradictoires : musique contemporaine, jazz et répertoire classique, que tu ne fréquentes pas “en touriste”. Tu es donc parfaitement au courant des questions et problèmes que pose chacune des” techniques” avec lesquelles il convient d’aborder ces musiques.

Jean-Paul Celea : Acquérir et maîtriser une ou des techniques ne pose pas de problèmes pour celui qui travaille. Je ne me considère pas pour autant comme le spécialiste d’un domaine particulier. J’essaie d’élargir ma technique à la perception sensuelle que j’ai des différentes musiques que je pratique.
C’est le passage qui m’intéresse, plutôt que le cloisonnement. Cela ne remet jamais en cause la rigueur nécessaire à une pratique instrumentale de haut niveau. Au contraire, les techniques s’ajoutent les unes aux autres jusqu’à n’en faire qu’une, fantastique véhicule d’expression de musiques diférentes, qui elles aussi se nourrissent l’une de l’autre. C’est l’appartenance aveugle à UN milieu, et la soumission à tous ses codes qui sont réductrices.

P.D : Quand, parti de l’apprentissage de la basse classique, tu t’es orienté vers des musiques parallèles, ça t’a mené dans un premier temps à la musique contemporaine, à l’Ensemble Intercontemporain, et là tu étais déjà dans un entre-deux. Tu en as souffert...

J.P.C : Il était naturel pour moi d’évoluer dans ce sens là. C’est ensuite que j’ai découvert, de l’intérieur du système, des attitudes qui contredisaient l’idée que je me faisais de cette musique.

P.D : L’époque était plus radicale, la question que recouvrait la musique contemporaine était beaucoup plus dure idéologiquement.

J.P.C : Mais c’est précisément ce que j’adorais ! C’était une époque où les gens réagissaient, quelquefois violemment. Aujourd’hui nous sommes dans une période de consensus mou, un paysage culturel dénué de toute revendication, souvent affadi par manque de choix clairs et affirmés.

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P.D Finalement, tu as quitté l’E.I.C dans des conditions pas très honorables pour le milieu de la musique contemporaine (NDLR cf Jazz Mag n° 285 page 24). Comment, aujourd’hui, la question de la composition existe-t-elle dans ta pratique de musicien de Jazz ?

J.P.C : J’ai toujours refusé de me considérer comme un compositeur, c’est un terme qui désigne quelqu’un comme toi, par exemple, qui utilise l’écriture pour s’exprimer. Je m’inscris plutôt dans un courant de transmission orale. Je ne peux proposer mes idées de musiques qu’à des musiciens capables d’improviser.

P.D : Derrière cette idée d’invention musicale, il y a donc désir de communion, qui existe aussi, quoi qu’on en pense, dans l’écriture - indissociable du fait de faire la musique.

J.P.C : Quand j’ai l’idée d’une musique, je ne sais pas exactement ce que chaque musicien du groupe va jouer. J’indique des codes, à des musiciens qui vont respecter l’origine de ces codes, tout en apportant leurs sensations de mon idée. Un des grands enseignements de l’improvisation, c’est l’importance de l’éphémère, et la transgression des codes. Tu le sais d’autant mieux que tu as écrit pour moi une pièce solo - In & Out. Au début, le matériel étant figé sur la partition, ça a été terrible. C’est n’est qu’ensuite que j’ai compris, travaillant avec toi, que je pouvais nourrir ton écriture de mon geste de musicien. Je n’ai jamais prétendu révolutionner la musique. Mais quel que soit le domaine musical auquel je suis confronté, j’ai besoin d’un espace de liberté, et cette notion de transformation du matériel donné, écrit ou non, me paraît essentielle.

P.D : Dans ta pratique de musicien de jazz, en particulier avec David Liebman et Wolfgang Reisinger, tu utilises des techniques qui sont des reliquats de certaines inquiétudes inhérentes à l’écriture et à la musique contemporaine.

J.P.C : La musique contemporaine est un domaine de recherches et de découvertes fantastique pour qui sait s’en servir. Le travail sur la matière sonore, l’invention de formes nouvelles, l’obligation faite aux musiciens d’inventer une autre attitude par rapport à la musique et à leur instrument : c’est un inépuisable réservoir.

P.D : A l’écoute de ces disques en trio, et connaissant ton parcours multiple on a la sensation que tout cela est magnifié par l’univers de votre rencontre.

J.P.C : C’est l’univers de la projection immédiate. Une manière de composition spontanée. Pour citer Stockhausen (extrait de Aus den Sieben Tagen) : ”n’essaie pas de comprendre cela par la raison, tu ne vas que tout déranger et rendre impossible”. Liebman, Reisinger et moi sommes capables de jouer de nos instruments “classiquement”, mais aussi de passer au delà des académismes et d’inventer le moment.

P.D : En même temps, quand tu fais un acte musical, quand tu joues, il y a une entreprise théorique qui se met en place, on ne fait pas les choses de façon innocente. Quand tu explores cet univers harmonique, tu sais comment éviter certaines références aux styles de jazz existants, comment rendre ton son plus étrange, plus "à côté", tu n'utilises pas n'importe quels accords, parfois même vous avez recours à des techniques microtonales. Duke Ellington avait une théorie, certes confondue dans la pratique, Coltrane aussi, pour ne pas parler d'Ornette Coleman, et pourqoi pas de Dave Brubeck.

J.P.C : En ce qui me concerne, je préfère parler de “théorie inconsciente”. Quand j’improvise, à aucun moment je n’ai conscience d’utiliser ces techniques microtonales, elles s’imposent à moi comme faisant partie d’un geste nécessaire à ce moment là.

P.D : J'aime beaucoup certains enregistrements des années 40/50, et il y avait là des bassistes qui avaient un certain génie - je ne crois pas qu'ils le faisaient exprès - pour jouer faux. Probablement des autodidactes qui n'avaient pas de leur instrument la même maîtrise que le premier bassiste de l'Orchestre de Chicago. En même temps ce "défaut" a produit des effets stylistiques très beaux.

J.P.C : J'irai plus loin : quand un instrumentiste passé par le rouleau compresseur des études classiques veut s'exprimer dans le jazz, il lui faut désapprendre à jouer de son instrument. Dans le cas de la basse, par exemple, qui souvent joue des moteurs (ce que l'on appelle le groove), c'est à dire ce qui fait qu'on peut jouer par dessus des choses qui se développent rytmiquement et harmoniquement, je suis persuadé qu'avec les mêmes "moteurs" joués comme les jouerait un ordinateur ça ne tournerait absolument pas. Il faut trouver une certaine tension, avec la note un peu "trop" haute, le temps un peu en avant ou un peu en arrière.

P.D. On retrouve ces questions dans les oeuvres pour quatuor à cordes, où on ne peut pas jouer les notes justes, ce sont toujours des approximations.

J.P.C : C’est le grand principe de la relativité des choses. Sauf que ce qui est une fausse note dans une oeuvre classique n’apparaît pas forcément comme une erreur dans la musique improvisée, et n’est en aucun cas un frein à l’expression. Pour en revenir à la microtonalité, quand tu la fais intervenir dans tes partitions, est-ce une décision que tu prends ?

P.D : Pas nécessairement : aujourd’hui le quart de ton peut être utilisé dans ma musique de manière instinctive. Par exemple dans Laps, pour clarinette et contrebasse, que tu as joué, tous ces quarts de ton, ces mélismes, sont quasiment improvisés - c’est une liberté que je donne à l’interprète de créer des tensions, voire de spéculer, à partir de l’écriture, sur les rencontres avec un autre instrumentiste. Quand j’ai écrit Laps, je savais que certains microtons, des intervalles qu’on dirait “faux”, pouvaient devenir des moments de jouer, au sens ludique.
Bien que les choses aient changé, j’ai toujours regretté l’intégrisme de certains musiciens de formation classique qui considérent tout ce qui n’est pas leur musique comme une “musique de bons nègres”. Quelle que soit la musique, quand il y a création, il y a toujours un processus dialectique entre des zones très conscientes, raisonnées, et des choses qui sont des purs choix, des déductions immédiates. Quand tu portes ton intuition et tes sensations comme un flambeau, tu as raison, mais tu ne fais pas que ça : tu as une technique, tu réfléchis à la musique, et ça s’entend... J’ai écouté Dave Liebman, il a pour improviser un système d’accords très original.

J.P.C : Pour moi, Liebman fait partie de ce cercle très restreint de musiciens qui, bien qu’étant des théoriciens implacables sont capables de fulgurances allant au delà la raison. Quelque chose se passe dans cette pratique physique de l’improvisation, qui échappe à l’entendement et à la théorie. Entouré de musiciens partageant le même moment, on s’évade de soi-même. Participent à cette “évasion” une multiplicité de gestes instinctifs propres à chaque musicien. Et je reproche à la musique contemporaine de souvent nier ces gestes dans ses partitions.

P.D : Quand je t’ai rencontré, tu ne pratiquais la musique contemporaine qu’à certaines conditions...

J.P.C : Il fallait - il faut toujours - que ce soit une musique que j’arrive à défendre sur scène.

P.D : Comment envisages-tu les années qui vont venir maintenant que tu enseignes au Conservatoire National Supérieur de Musique ?

J.P.C : J’ai découvert avec l’enseignement au CNSM une manière fantastique de transmettre en continuant à travailler. Je n’imagine plus m’investir autrement que dans des aventures musicales dont je retirerai à la fois un plaisir et un enseignement. La scène est un lieu de danger, de prise de risques constants : on s’y détruit en dilapidant son énergie, on s’y construit en la concentrant. Je choisis la deuxième voie. Je choisis aussi dans l’univers de la musique contemporaine de ne travailler qu’avec des compositeurs vivants - beaucoup sont morts vivants, et ont perdu de vue que leur écriture sera jouée par des êtres de chair, et non par des ordinateurs. Ce qui m’importe, quel que soit le domaine musical, c’est de conserver cette nécéssaire innocence face aux musiques, chaque fois. C’est la vie réalisée qui m’intéresse, plus que la carrière.

Propos recueillis par Xavier Prévost