Ecrits divers, réflexions, coups de cœur ou coups de gueule...
Les risques du métier
(publié par l'IRMA dans l'édition de Jazz 2004).
Exerçant depuis 25 ans la profession d’agent artistique, je remarque qu’elle reste le lieu de tous de tous les fantasmes et de tous les mystères, peu de gens se faisant une idée précise des réalités et du contenu de ce travail. A l’évidence, ce métier continue de traîner dans son ombre quelques vieux clichés qui ont la vie dure. Le plus courant, conforté par le cinéma, le show-business et certains medias, représente volontiers l’agent (« l’imprésario ») comme un monsieur fumant le cigare, qui se borne à répondre au téléphone à de multiples propositions de concert générant autant de commissions exorbitantes, et évolue avec ses artistes dans un décor luxueux dont champagne, caviar, limousine et jet privé sont les principaux éléments. Dans le domaine du jazz, cette image s’applique éventuellement au management des quelques stars internationales, majoritairement américaines, dont les cachets avoisinent les 100.000 euros par concert - à ceci près que semblables réussites impliquent nécessairement un travail assez considérable, ce que l’on a généralement tendance à oublier dans le décor. Ne mésestimons pas d’ailleurs les énergies positives générées par le fantasme – largement partagé par les musiciens et par les agents – d’atteindre ensemble de tels succès. Avant d’y parvenir, voyons la réalité du chemin à parcourir. Et, plus spécifiquement, ce qui fait le quotidien des nombreux agents qui, comme moi, ont choisi de s’investir fidèlement dans un travail de long terme auprès des musiciens de la scène française ou européenne.
Comment et pourquoi devient-on agent dans le jazz ? Si les parcours individuels sont multiples, la motivation première la plus largement partagée demeure une passion immodérée pour cette musique et les univers qu’elle va permettre de côtoyer. Je ne fais pas exception, et comme de nombreux acteurs professionnels, j’ai été très tôt atteinte par ce virus. Je dois mes débuts dans ce métier, et beaucoup de ce que j’y ai développé par la suite, à la confiance de deux hommes que j’aimerais remercier ici : Alain Guerrini, qui m’a donné les premiers outils pour créer un bureau de management d’orchestres dans le cadre de l’école de Jazz du CIM, avec Marie-Claude Nouy, aujourd’hui Label manager d’ECM. Et Patrice Caratini, qui m’a ensuite proposé de m’associer à l’aventure des Productions Patrice Caratini.
Lors de mes débuts dans les années 80, les agences représentant des artistes américains étaient déjà nombreuses. Mais, à l’exception de quelques-unes (celle de Michel Chouanard représentant notamment Stéphane Grappelli, et celle de Jean-François Foucault réunissant les plus beaux fleurons de ce qu’on commençait tout juste à définir comme « le jazz français » : Michel Portal, Martial Solal, Didier Lockwood, Henri Texier, Daniel Humair, François Jeanneau, Caratini/Fosset, Eric Le Lann, etc.), peu d’entre elles s’intéressaient aux musiciens de la scène hexagonale. Une grande partie de celles qui ont alors vu le jour ont été créées par des femmes éprises de cette musique. Je salue au passage ces valeureuses – beaucoup sont encore dans le métier - qui se sont dépensées sans compter pour faire partager leur passion. Aujourd’hui, la profession tend plus vers la parité, mais les femmes y restent encore majoritaires, ce qui ne tient sans doute pas qu’à des raisons conjoncturelles. Car, malgré l’arrivée d’une nouvelle génération de professionnels, la pénurie d’agents se fait de nouveau cruellement sentir. D’où la nécessité pour beaucoup de musiciens de mettre en place d’autres moyens pour promouvoir leur travail – le plus fréquent étant le collectif, qui a déjà fait ses preuves.
En quoi consiste exactement le travail d’un agent dans le jazz ? A l’inverse du modèle américain où avocat, producteur, manager, tourneur, road manager, attaché(e) de presse, administrateur, sont des professions distinctes, l’agent français assume en général à lui tout seul (ou avec une équipe réduite de 2 à 3 personnes maximum) l’ensemble de ces fonctions – très heureux lorsqu’il peut être efficacement secondé par une maison de disques ! Inutile de dire que la notion des 35 heures fait doucement sourire les intéressés, qui cumulent les horaires traditionnels de bureau et la présence sur les concerts le soir et le week-end.
Lorsque j’ai débuté dans ce métier, l’essentiel de mon travail, comme celui de tout agent, consistait à vendre des concerts – donc, après l’envoi de catalogues, de dossiers de presse et de disques, à passer beaucoup de temps au téléphone pour joindre et convaincre les acheteurs. Et, une fois les concerts concrétisés, à en assurer toute la logistique : contrats, suivi des demandes techniques, envoi de matériel promotionnel, organisation des voyages, de l’accueil, feuilles de route, régie générale en amont et sur les concerts, et communication avec les medias. Progressivement, à partir de 1981, le développement de la politique culturelle en faveur du jazz a amené les agents, comme les autres acteurs du terrain, à investir de nouvelles missions relevant davantage d’un travail de production : montage de dossiers, recherches de financements, gestion des aides à la création ou des aides au projet, mise en œuvre de projets d’action culturelle, pédagogiques ou de sensibilisation. Enfin, notre profession a connu un tournant majeur en 1992, lorsque la réforme de l’ordonnance de 1945 - qui régit le spectacle en France – a permis aux associations loi de 1901 d’avoir accès à la licence d’entrepreneur de spectacles, désormais obligatoire pour les structures ayant pour activité principale la production de spectacle vivant.
Cette réforme, tout en répondant à l’attente d’un statut mieux adapté aux spécificités de notre secteur, qui faisait débat depuis longtemps dans la profession, a radicalement modifié l’organisation de notre travail. Nous sommes donc devenus producteurs de spectacles, en même temps qu’employeurs des musiciens que nous représentons. Et donc en charge des tâches administratives liées à la paie des artistes, auparavant dévolues aux diffuseurs. Tout le monde s’en est trouvé ravi : les organisateurs parce qu’ils étaient déchargés de ce travail, les musiciens parce qu’ils étaient assurés de notre vigilance à garantir l’ensemble de leurs droits sociaux. La question des coûts supplémentaires induits par cette nouvelle fonction est restée en suspens, étant évident pour les uns comme les autres que nous trouverions les moyens de les assumer. Et, de fait, nous les assumons, y compris dans leurs implications paradoxales : dédier au minimum un tiers de nos journées aux formalités administratives liées aux concerts, dont les échéances sont impératives, et donc distraire ce temps de celui habituellement consacré à l’objectif premier de notre fonction : trouver des concerts !
Autre changement majeur entre les années 80 et aujourd’hui : le nombre des musiciens professionnels français sur le marché. On en comptait environ 500 il y a 25 ans. Conséquence logique du développement des écoles de jazz et des actions pédagogiques, ce nombre a été depuis multiplié… par 10 ! Auxquels viennent s’ajouter ceux de la scène américaine, de la scène européenne et d’ailleurs. Les lieux de diffusion ne se sont bien entendu pas multipliés dans les mêmes proportions, et la place du jazz dans les programmations des Scènes Nationales et des lieux généralistes reste réduite. D’où une concurrence de plus en plus aiguë sur le marché. A titre indicatif, les festivals reçoivent entre 3.000 et 5.000 propositions par an – soit un foisonnement de talents et d’esthétiques parmi lesquels chaque organisateur va devoir faire son choix. A ce stade, la concrétisation d’un concert relève autant de la qualité artistique d’un orchestre et de l’opiniâtreté de son agent que d’un simple calcul des probabilités ! Statistiquement, même les musiciens les plus réputés constatent ces dernières années une baisse du nombre de concerts qu’ils réalisent par saison – et beaucoup d’entre eux travaillent pour des cachets inférieurs à ceux qu’ils pratiquaient il y a 20 ans. Il en va de même pour les agents…
Quelques précisions sur l’économie de ce métier, qui continue aussi de faire l’objet d’un certain nombre d’idées fausses – notamment celle que les agents gagnent beaucoup d’argent aux dépens des musiciens – alors que, fidèles à une éthique commune, nous défendons clairement leurs intérêts. Il existe des règles dans la profession. La rémunération des professionnels titulaires de la licence d’agent artistique, nombreux dans les domaines du cinéma, de la musique classique ou de la variété est fixée à 10% (ce qui se conçoit tout à fait si on travaille pour Gérard Depardieu, Placido Domingo ou Johnny Hallyday). La commission des agents détenteurs de la licence d’entrepreneur de spectacles – cas le plus courant dans le jazz en France - est fixée librement en concertation avec les artistes. Elle se monte actuellement en moyenne à 20% - beaucoup de professionnels estimant que 25% voire 30% seraient nécessaires à une économie saine de leur activité.
Cette question n’a jamais fait l’objet d’une véritable étude de terrain, même si les agents français ont régulièrement réalisé des rapports de synthèse détaillant leur spécificité. Les derniers en date ont été soumis entre 1999 et 2001 au Ministère de la Culture par un collectif auquel j’appartiens, qui regroupe 12 structures de production de jazz et de musiques actuelles, représentant les artistes majeurs de la scène française*. Ces rapports mettent en évidence la constante précarité et les difficultés structurelles de cette sphère d’activité qui génère pourtant des chiffres d’affaire conséquents et des emplois réguliers pour un grand nombre de musiciens. Il apparaît que ces structures consacrent en moyenne 70% de leur chiffre d’affaire aux coûts artistiques (salaires et charges des musiciens), les 30% restant étant supposés couvrir les frais de fonctionnement (loyer, téléphone, poste, matériel promotionnel, matériel informatique et de bureau, cabinets comptables, assurances, etc.), ainsi que les salaires et charges du producteur – et le cas échéant de ses assistants. Elles ont à faire face à des charges croissantes, notamment celles découlant de la licence d’Entrepreneur de Spectacles.
Elles développent par ailleurs une part importante d’activité sur des réseaux - clubs, fédération des scènes de jazz, SMAC, etc. - qui, pour être des partenaires essentiels des musiques concernées du fait de leur ouverture et leur capacité rapide de diffusion, permettent rarement de dégager une marge bénéficiaire. Elles s’investissent régulièrement dans certains contextes (commandes d’œuvres, production de disques, enregistrements radio ou TV) où leur travail n’est pas rémunéré. Et le soutien régulier des sociétés civiles dont elles gèrent les aides (à la création, à la diffusion) n’a que peu d’incidence directe sur leur fonctionnement. Elles subissent par ailleurs le contrecoup de la crise du disque, ce qui entraîne une augmentation conséquente des investissements promotionnels (photos, affiches, CD, plaquettes) que les labels aidaient souvent à financer. Un exemple parlant : beaucoup de producteurs qui étaient auparavant en mesure de fournir un certain nombre de CD promotionnels pour la prospection des concerts n’ont désormais d’autre alternative que de les vendre. Même au prix “artiste” - environ 10 € par CD - cela représente un budget conséquent. (Pour mémoire, chaque envoi de disque, assorti d’un dossier de presse, revient, affranchissement compris, environ à 15 €. Un envoi ciblé uniquement sur les quelque 250 festivals français représente donc à lui seul 3.750 €. Mais dans la réalité, nous travaillons tous avec des fichiers de plusieurs milliers d’adresses, en France et à l’étranger !).
Dans une économie en récession où l’essentiel des budgets est prioritairement dévolu à l’artistique, les agents se trouvent dans une situation paradoxale. Ils se sont donné les moyens d’une véritable professionnalisation, ce dont tous leurs partenaires se félicitent, mais leur niveau de revenus est loin de refléter leur niveau de compétence. D’où les difficultés d’une profession pourtant estimée indispensable - si l’on en croit notamment la ténacité dont font preuve les artistes qui n’ont pas d’agent pour en trouver un. On est loin du panorama caviar/limousine évoqué plus haut – tout juste dans une économie de survie. Et donc dans une réalité qu’une grande part de la profession n’aime pas entendre : sans jamais en abuser – et bien contents lorsque des périodes plus fastes leur permettaient de s’en passer - beaucoup d’entre nous ont jusqu’à maintenant préservé leur activité grâce au système de l’intermittence. Et, comme un grand nombre de musiciens depuis la récente réforme du statut des intermittents du spectacle, s’interrogent sur la possibilité de se maintenir dans ce statut, et d’être à même de poursuivre leur travail.
Au vu ces différents constats, en miroir à la question d’ouverture « pourquoi devient-on agent dans le jazz ? », il paraît pertinent de demander « pourquoi reste-t-on agent dans le jazz ? » Quand j’y réfléchis, je ne peux aujourd’hui que résumer pour moi-même les éléments positifs que j’y trouve encore : la satisfaction de l’accomplissement d’un concert, qui s’apparente à celui que doivent ressentir certains artisans devant le résultat tangible de leur travail. Le plaisir de la musique, qui me ressource sans cesse et dans laquelle je puise, à chaque concert, un renouvellement d’énergie. Un intérêt particulier pour l’univers des musiciens, le privilège d’une intimité qui me permet d’approcher le mystérieux processus de la création. Une exigence de rigueur personnelle, j’espère en résonance cohérente avec l’exigence artistique des musiciens que je me suis attachée à défendre. Et, bien sûr, une part active de militantisme, lorsque je mesure tout ce qu’il reste encore à faire pour que le jazz rencontre un public de plus en plus large. Bref, autant de choses à l’image des valeurs portées par cette musique, qui me semblent, plus que jamais dans les temps que nous traversons, devoir faire l’objet d’une extrême vigilance de la part ses différents acteurs, tant elles sont vivantes, essentielles et pourtant singulièrement fragiles.
Martine Palmé
* (L’ARFI, CANTABILE, CC PRODUCTIONS, EMOUVANCE, INCLINAISONS, INITIALES, JAZZ MUCH, LMD, MUSIQUES CRÉATIVES DU SUD, MUSIQUES EN BALADE, OPUS 31 PRODUCTIONS, TOUS DEHORS).
Alain Guerrini : memories of you...
Publié en 2000 dans "Changes" pour le colloque
international de l'IASJ à la Cité de la Musique.
A l’heure des bilans, il paraît intéressant de revenir sur l’expérience du CIM, impulsée à la fin des années 70 par Alain Guerrini, qui en a été le Directeur et le principal animateur. Non pas pour rappeler l’historique ou les lignes pédagogiques de ce qui fut à l’époque l’une des premières écoles de jazz d’envergure en France ; ces informations ont déjà fait l’objet d’autres études. Mais pour approcher ce qu’Alain Guerrini appelait “l’esprit de la chose” - dont il a lui-même été le vivant exemple jusqu’à sa disparition en 1995.
Pour avoir eu le privilège (et le recul du temps me permet aujourd’hui de mesurer pleinement à quel point c’en était un) de vivre cette aventure de l’intérieur, puisque j’ai été à la fois secrétaire et élève au CIM durant les cinq premières années, j’aimerais tenter de définir ce qui en a fait la singularité. Car il s’agit de quelque chose d’irréductible à l’analyse en termes de planification ou de cursus pédagogiques, et qui relève d’une réelle adéquation avec ce qui est l’essence même du jazz. Je veux parler de la passion, de l’ouverture, de la capacité à fédérer les énergies, et d’un sens aigu de la “chose improvisée”, qualités qu’Alain Guerrini possédait au plus haut point, et faisait rayonner sur son entourage.
Doué d’un penchant naturel pour les échanges d’idées, il avait un talent très particulier pour l’immédiateté de leur mise en œuvre. Tous ceux qui, comme moi, ont eu la chance de partager avec lui des nuits entières de débats animés, suivies d’autant de petits matins blafards après la fermeture des clubs, se souviennent qu’une des phrases favorites d’Alain était alors “et si on faisait...”. Et on faisait, dans les heures qui suivaient : une discothèque de prêt (démarrée avec sa propre collection de disques mise en libre circulation !), des rencontres/débats avec les acteurs professionnels les plus divers (programmateurs, producteurs, agents, éditeurs), des écoutes de disques confiées aux meilleurs spécialistes, des concerts gratuits, des jam-sessions, un journal, et bien sûr toutes les expériences pédagogiques possibles et imaginables dans ces années-là. La planification et la communication de ces activités suivaient, tant bien que mal, ce débordement d’envies concrétisées dans l’urgence. Il y avait, inévitablement, quelques ratés. Mais le moins qu’on puisse dire est que tout cela était terriblement vivant.
Ce n’est pas un hasard. Alain Guerrini était un homme de culture. Le jazz n’était pas sa seule passion : les arts plastiques, le cinéma, la littérature, l’amour, les plaisirs de la table, les plantes vertes et l’humour faisaient aussi partie de ses jardins partagés. Il y puisait sans cesse des initiatives nouvelles, et était au CIM le prosélyte de cet humanisme chaleureux, tenant table, cave et maison ouvertes pour tous ceux qui, comme lui, recherchaient l’inattendu et les confrontations de points de vue.
Lors de l’ouverture de l’école, il pensait lucidement que le pourcentage des élèves appelés à devenir musiciens professionnels n’excéderait sans doute pas 15% des inscrits. A ceux-là, il souhaitait offrir la possibilité de gagner du temps sur un chemin qu’ils auraient parcouru de toute façon, que le CIM existe ou pas, comme leurs aînés l’avaient fait précédemment, avec les moyens du bord : un mélange subtil de travail, de désir, de volonté et d’énergie créatrice, et sans doute quelque part un brin de folie - ou d’inconscience. Aux autres, il a su, imperceptiblement, instiller sa passion, contribuant largement à former des auditeurs avertis, dont certains continuent de s’investir activement dans les domaines variés du journalisme, de la diffusion, du management, de la production de disques ou de l’enseignement.
Car quel que soit le niveau de connaissance ou d’aspiration de ses interlocuteurs, Guerrini savait susciter en chacun l’indispensable étincelle. Pour alimenter durablement cette alchimie de découverte, il replaçait volontiers la musique dans une perspective historique, prenant un malin plaisir à faire écouter Armstrong aux fans de Weather Report, ou des enregistrements mythiques usés jusqu’à la corde aux inconditionnels du “son ECM”. Car il tenait avant tout au contenu du discours, à sa capacité émotionnelle. Il donnait à entendre, sans jamais le formuler scolairement, que maîtriser un instrument c’est aussi accéder à ce que cette maîtrise va permettre de dire. Et incitait ses élèves à prendre aussi le temps de vivre, pour mieux se raconter. Certains ne manquaient pas d’ailleurs de plaisanter de cette inclination naturelle au romantisme désuet. Et pourtant...
Je sais que nous avons été un certain nombre, après la mort d’Alain, à nous sentir un peu orphelins, comme on peut l’être d’un père choisi capable d’entrouvrir les portes sur un univers immense, qu’on se résout à continuer d’explorer sans lui. Mais dont l’absence est manifeste. Et pour cause : musicien amateur (au sens vrai du terme), Alain Guerrini ne pouvait pas vivre sans enthousiasme. Sa vie et son travail au CIM ont été clairement nourris en permanence d’enthousiasmes successifs. Que certains aient parfois été contestables n’enlève rien à cette qualité essentielle - dont notre métier aurait aujourd’hui plutôt tendance à manquer.
Dans son héritage, outre cette passion largement partagée, il y a certes aussi quelque chose d’intangible. Peut-être un goût particulier pour une forme créative d’errance intellectuelle, de questionnement incessant, dont l’époque actuelle, plus soucieuse de rentabilité, néglige parfois les étonnantes potentialités. Une zone d’inpondérable comme il en existe dans certaines conversations qui semblent tourner en boucle et confiner presque à l’ennui avant que l’idée force ne surgisse. Comme la phrase musicale qui surgit impeccablement après des centaines d’approximations. Et qui naît moins d’un travail bien appris que d’une confrontation avec soi-même incluant aussi le risque et la part d’ombre, auquel nul enseignement, aussi performant soit-il, ne peut totalement se substituer.
Martine Palmé